Quand le Marquis d’Ussé s’appropriait la Madeleine de Bréhémont
Le 10 octobre 1703, les religieux de l’abbaye de Cormery adressent à Louis Bernin de Valentinay, seigneur d’Ussé (1627-1709), un curieux mémoire dans lequel ils dénoncent ses prétentions à l’égard de la Madeleine de Bréhémont.
La Madeleine n’est pas une paroisse à proprement parler. L’église n’est alors qu’une succursale du prieuré Saint-Pierre de Rivarennes, qui dépend lui-même de la puissante abbaye bénédictine Saint-Paul de Cormery. Ce fief n’a donc aucun lien avec la seigneurie d’Ussé. Seulement, le puissant Louis Bernin de Valentinay, conseiller du Roi en tous ses conseils, contrôleur général de la Maison du Roi, proche ami de Charles Perrault et de Vauban, outrepasse ses droits. Pour tout dire, depuis que Louis XIV a érigé en marquisat la châtellenie d’Ussé, en septembre 1700, Bernin se sent pousser des ailes…
Les accusations formulées par les religieux de Cormery à son égard sont graves. Le Marquis aurait d’abord, au sens littéral, dépassé les bornes. Il aurait « fait oster un poteau qui faisoit la separation d’un fief qui lui apartient d’avec celluy qui depand dudit prieuré« , et l’aurait « fait planter pres de ladite eglise de la Magdellaine de Bremond, dans un endroit du fief des exposants. »
Non content d’outrepasser les frontières de son fief, il aurait usurpé les droits honorifiques liés à l’église Sainte-Madeleine, dont il n’est pourtant « ni fondateur ni patron » : après avoir fait graver ses armoiries au fronton de ladite église, il serait désormais sur le point d’y « faire construire un banc » , se réservant ainsi la place d’honneur dans la nef.
Jusqu’alors le prieur de Rivarennes, François Montigny, « par crainte ou autrement« , n’a pas su défendre les prérogatives de l’abbaye. En ce jour d’octobre 1703, les religieux entreprennent de mettre fin à ces flagrants abus. Avant d’entamer une procédure judiciaire coûteuse (et sans doute incertaine tant sont puissants les appuis dont bénéficie le marquis), ils adressent une sommation à Louis Bernin de Valentinay, l’enjoignant à « faire oster incessament le poteau nouvellemment par luy fait planté auprès de ladite eglise » et à « briser les armes qu’il avoit faite apposer et graver sur la porte de ladite eglise. »
Cette requête est portée à Rivarennes le 10 octobre 1703 et confiée à un représentant du Marquis. Las, ce dernier n’en tient aucun compte et, pendant deux ans, il poursuit ses « entreprises » : vers 1704, il fait carrément démolir une chapelle de l’église pour y placer son banc. A Cormery, les patiences s’usent. Une nouvelle requête est donc envoyée le 31 juillet 1705 par l’intermédiaire de René Barbet, sergent royal à Chinon. Cette fois, les religieux le menacent explicitement d’un procès « par les voyes de droit, et pour leur dommage et intherest devant juge competant« .
J’ignore si leur requête a été entendue et l’église ancienne de Bréhémont n’est plus là pour nous l’apprendre.
Transcriptions :
« Disent les relligieux, prieur, abbé et couvent de l’abbaye royalle de Saint Paul de Cormery, ordre de Saint Benoist, que de ladite abbaye fait partye le prieuré de Rivarenne, consistant en fief, droits y annexés et autres domaines, sur lesquels est basty et construit une eglise sous le nom de Sainte Magdelaine, appelée vulgairement la Magdellaine de Bremond ; dans laquelle eglise, encore que Messire Louis Bernin de Valantinay, chevallier, seigneur d’Ussay et autres lieux, conseillers du Roy en tous ses conseils, controlleur general de la maison de sa Majesté, n’ait aucun droit, c’est-à-dire n’en soit ny fondateur, ny patron, ne laisse pas que de faire des entreprises qui, dans la suitte, pourroit tendre à l’entière extinction du fief depandant de ladite abbaye et des droits d’icelluy, ayant depuis peu fait oster un poteau qui faisoit la separation d’un fief qui lui apartient d’avec celluy qui depand dudit prieuré et l’a fait planter pres de ladite eglise de la Magdellaine de Bremond, dans un endroit du fief des exposants, sur les portes de laquelle eglise mesme il a fait graver ses armes. Et sy les exposants en croient le bruit publicq, il est mesme en dessein de faire construire un banc. Et comme tous les droits honorifiques de ladite eglise de la Magdeleine ne luy appartiennent en aucune manière, n’estant, comme dit est, patron ny fondateur d’icelle, mais bien le prieur de Rivarenne, membre dependant de ladite abbaye, ainsy que les exposants justiffiront en temps que besoin sera, n’ayant point droit de haulte justice dans l’endroit où il a fait nouvellement planter son poteau, enfin n’estant point seigneur, chastelin dans l’endroit de ladite eglise pour y pouvoir faire graver ses armes, ny faire construire un banc ou autres semblables entreprises, lesquelles qualitées sont indispensablement requises tant par la coutume que par les arrests intervenus sur ces sortes de matieres, et comme le prieur de Rivarenne par des considerations particullieres soit par crainte ou autrement, n’a pas voullu s’opposer ausdites entreprises, les exposans pour la conservation des prieurés de leur abbaye, des fiefs, terres et droits y annexés, ne peuvent se dispenser d’y former opposition et de declarer qu’ils sont opposans, comme de fait ils s’opposent par les presentes a toutes lesdites entreprises qui pourroient estre faites sur les terres et droits depandans du fief appartenant au prieur de Rivarennes, qu’ils empeschent formellemant qu’il soit passé outre de la part dudit sieur de Vallentiné, et à d’autres entreprises, le sommant de faire oster incessament le poteau nouvellemment par luy fait planté auprès de ladite eglise de la Magdelaine de Bremont, comme aussy de briser les armes qu’il avoit faite apposer et graver sur la porte de ladite eglise, protestant qu’il seroit rebutant de se pourvoir par les voyes de droit par devant juge competant, et pour signifier la presente opposition, lesditz freres religieux ont constitué le porteur des [présentes] à Cormery, ce douze septembre mil sept cens troys.
[signé] Jacques debit, religieux, procureur et sindic de la communaulté de Cormery. »
Archives départementales d’Indre-et-Loire, cote H101 (transcription: R. Jimenes).
« Disent les venerables religieux, prieur et couvant de l’abbaye de Cormery qu’ils sont seigneurs présentateurs du prieuré de Rivarennes, duquel dépend l’églize et [filletes ?] de Brehemon, delaquelle ilz sont mesme seigneurs entiers, dans laquelle eglize de Brehemon il y avoit une chapelle, laquelle chappelle Messire Louis Bernin, seigneur de Vallantinay, auroit sans aucun droit le pretendant seigneur de ladicte eglize, fait demolir, et dans le lieu d’icelle y auroit fait mettre son banc. De plus, ledit seigneur de Vallentinay auroit fait empraindre ses armes sur une pierre qu’il auroit fait poser au dessus de la porte de l’eglize dud. Bréhémon, de plus auroit encor fait placer un poteau devant lad. eglize auquel il auroit pareillement fait attacher l’ecusson de ses armes. Et comme c’est une entreprise faitte par led. Seigneur de Vallentinay sur les droits desd. religieux, lesd. religieux s’y seroient cy devant opposez par acte signifié à leur requeste audit sieur de Vallantinay, avec déclaration qu’il eust a ne point s’imisser dans la desmolition de lad. chappelle, ny plasser son banc comme il a fait dans l’endroit d’icelle, ny faire ce qu’il a fait au prejudice de lad. opposition, a laquelle opposition led. sieur de Vallantinay n’ayant aucunement defferé et au prejudice d’icelle mesme a dellaissé de continuer ses entreprises sans aucun droit, pourquoy lesdits religieux ont declaré qu’ils s’opposent d’habondance a tout ce quy a esté fait par led. sieur de Vallantinay comme estant une entreprise et usurpation des droiz desd. sieurs demandeurs, et eux adherand a lad. opposition, eux protestant de se pourvoir contre led. sieur de Vallentinay, tant pour le restablissement de lad. chappelle que pour luy faire oster sondit banc, ses armes et poteau, par les voyes de droit, et pour leur dommage et intherest devant juge competant. Fait, laissé et signifié la presente opposition a la requeste desd. sieurs religieux, qui ont eslu leur demeure aud. couvent de Cormery, audit sieur de Vallentinay, au domicile de Messier Gabriel de Crouse, son procureur general a Ussé, paroisse de Rigny […] par moy, René Barbet, sergent royal […] au bailliage de Chinon […] Le dernier jour de juillet mil sept cens cinq,
Archives départementales d’Indre-et-Loire, cote H101 (transcription : R. Jimenes. Nota : la transcription des dernières lignes est complexe et fournie ici sans aucune garantie.)